In memoria
Mon
grand-père, Pierre Santoni, nous a quitté il y a tout juste deux mois, le 6
avril dernier.
En ce
jour de commémoration des déportés du Fium’orbu, je pense à lui.
En
fondant l’Associu Mimoria di u Fium’orbu, il a poursuivi avec d’autres,
un immense travail de recherche, voulant faire renaître la mémoire de ces 167
hommes, i dipurtati di l'Isulacciu.
167
hommes de 15 à 80 ans, déportés le 6 juin 1808 dans des conditions
effroyables. Beaucoup d’entre eux disparurent avant même d’arriver dans les
prisons d’Embrun. Ceux qui survécurent y furent parqués dans des conditions
infâmes. Ces quelques mots - issus de
l’ouvrage Les prisons d’Embrun, de Jean Vandenhove - réalisé
avec la collaboration de l’Associu Mimoria - en témoignent :
« (…)
les salles où les Corses seront parqués sont situées au Sud mais sans fenêtres
et sans le soleil souvent caché par la cathédrale toute proche. Les Isulaccesi sont
arrivés en novembre sans vêtements d'hiver : le climat est froid : de
novembre à mai il y a en moyenne à Embrun 34 jours de neige, 92 jours de gel, 6
jours de grand froid. (…) Les bâtiments étant très hauts, le soleil n'entre pas
dans la cour. Les détenus sont couchés les uns à côté des autres sur de la
paille[1]. »
« Le
dénuement de toute espèce, les fatigues d'une longue route, leur séjour sur un
bâtiment de mer et dans les prisons ordinaires, la nourriture grossière, les
chagrins dévorants, la nostalgie ou mal de pays, l'entassement continuel de ces
malheureux, telles ont été les causes prédisposantes de la maladie cruelle et
générale qu'ils ont commencé à éprouver pendant ce mois, où près de la moitié
étaient déjà dans les infirmeries[2]. »
Les
efforts de tous ceux qui ont participé à ces travaux de mémoire, du Fium'orbu à
Embrun, en passant par le Ghjunsani [3],
ont permis à ces sombres événements de recouvrer leur juste place dans
l’histoire de notre île. Qu’ils en soient remerciés.
Une page
d’un grand livre se tourne, avec le départ de ma grand-mère Monique ; celui
de Jean Paoli, il y a quelques mois ; celui de Raymond Ottamani, quelques
années en arrière. Une page d’un grand livre, écrite par des femmes et des
hommes qui, par leur mémoire, leurs récits, leurs paroles et leurs gestes, nous
liaient à ceux qui avaient foulé cette terre avant nous.
Je me souviens des mots de mes grands-parents. Ces mots
contant la vie d’un autre temps, cette vie d’une seule phrase ressuscitée. Ces
terres, objet de tant d’attention et de soin, ces maisons, aujourd’hui fermées,
endormies peut-être, prêtes à se réveiller. Je vois leurs volets s’ouvrir et
leurs occupants nous raconter les heures ou les générations se rencontraient,
les enfants courant pieds-nus sur les chemins. Les guerres, les départs, les
exils … les retours aussi : le bateau, la Corse aperçue depuis le pont,
puis l’odeur du maquis, la plaine redevenue « saine » après le
passage des Américains et l’éradication de la malaria, l’arrivée au village…
enfin !
Récits
d’une vie qui peut nous paraître lointaine. C’était pourtant hier, et en fermant
les yeux, nous pouvons rouvrir, pour un instant, les portes du temps, et
arpenter ces terres avec tous ceux qui l’ont fait avant nous.
Senza
memoria ùn c’hè avvene. Sti ricordi sò e radiche di a nostra vita, e
fundazione di u nostru dumane.
Mon
grand-père avait l’habitude d’immortaliser les moments de vie et d’histoire.
Ces clichés sont les siens, souvenirs des commémorations des années 1990. A
travers ses recherches, ses photographies, ses récits, il nous fait cadeau d’un
patrimoine précieux. Ses mots resteront gravés dans ma mémoire. Ses pas guident
les miens.
[1] Jean
Vandenhove, Les prisons d’Embrun, du Moyen-Age jusqu’en 1943, Le passé
de l’Embrunais volume 8, 2004, p. 31.
[2] Rapport
trimestriel de la Maison Centrale de détention d’Embrun de décembre 1808, cité
par Jean Vandenhove, Les prisons d’Embrun, du Moyen-Age jusqu’en 1943, op.
cit., p. 32-35.
[3] Pour plus d’informations, je vous renvoie également au livret Mimoria di u Fium'orbu, duie fatti di a storia fiumurbaccia in 1774 è 1808 (Associu Mimoria di u Fium'orbu, imprimé par l'imprimerie du Fium'orbu), aux travaux de Jacques Denis Isulacciu di u Fium'orbu, juin 1808 : avant propos (free.fr) et à la page facebook de l’Associu Mimoria di u Fium'orbu https://www.facebook.com/profile.php?id=100009408704689.
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